Alors commença le premier conflit. Les Trois Majestueux, surgis du néant, se regardèrent avec un mélange de crainte et de défiance. Chacun voyait dans le monde vierge une promesse de domination, un trône qui n’attendait que son maître. Mais nul ne céda, et nul ne reconnut la suprématie de l’autre. Ce fut ainsi que, pendant des âges incalculables, le monde ne connut ni repos ni silence : il ne fut que guerre et tumulte.
Lorsque Droséra, le Dragon Céleste, plongeait vers la terre, ses ailes battaient les vents avec une telle violence qu’elles creusaient des vallées profondes dans la roche encore molle. Les torrents de flammes qu’il exhalait en rugissant fondaient les montagnes naissantes, transformant le sol en mers de lave bouillonnante. Là où son souffle se posait, le monde brûlait, s’effondrait et se reformait sans cesse.
En face, Serafina, le Lion Flamboyant, frappait de ses pattes colossales les plaines de basalte. Chaque coup résonnait comme un cataclysme et faisait surgir des chaînes de montagnes. Ses rugissements, mêlés à la chaleur de sa crinière ardente, fissuraient les falaises et soulevaient des raz-de-marée de poussière et de roches. Là où il bondissait, la terre s’élevait en pics et en plateaux, comme si le monde répondait à sa fougue en se hérissant d’obstacles.
Quant à Apeliotes, le Griffon de Métal, il ne combattait pas seulement avec ses serres étincelantes et son bec acéré. Sa magie, froide et implacable, façonnait les reliefs par des ondes invisibles. Lorsqu’il s’abattait sur une plaine, il la creusait en gouffres insondables ; lorsqu’il déployait ses ailes, les éclats métalliques qui en jaillissaient sculptaient des falaises et des ravins. Lui, plus que ses frères, donnait forme et structure au chaos en traçant les premières lignes d’ordre dans le tumulte de la création.
Et ainsi, à chaque bataille, le monde changeait de visage. Les coups titanesques des Trois Majestueux n’étaient pas de simples affrontements : ils étaient les marteaux et les ciseaux du grand sculpteur invisible. Là où leurs griffes, leurs crocs et leurs ailes frappaient, les entrailles de la terre s’ouvraient. Des cratères immenses se creusèrent, puis se remplirent de vapeur et de vie à venir. Les roches éclatées s’amoncelèrent en montagnes, les crevasses se multiplièrent et donnèrent naissance aux vallées et aux canyons.
Mais ce ne fut pas seulement la violence qui façonna le monde : ce fut aussi la douleur. Car malgré leur puissance colossale, les Trois Majestueux souffraient. Leurs affrontements, incessants et sans fin, les blessaient, et nul être, fût-il né de magie pure, ne pouvait demeurer insensible à la douleur. Alors ils pleuraient. Et de leurs larmes jaillit le plus précieux des dons.
Les larmes de Droséra, brûlantes et salées, s’infiltrèrent dans les failles qu’il avait ouvertes, emplissant les creux de mers amères et d’océans tumultueux. Celles de Serafina, ardentes et pures, jaillirent comme des sources chaudes et devinrent des fleuves impétueux, nourrissant les premières plaines. Celles d’Apeliotes, enfin, étaient froides, limpides et argentées ; elles se rassemblaient dans les gouffres qu’il avait creusés, donnant naissance aux lacs et aux rivières.
Ainsi naquirent les mers, les fleuves et les océans. Ainsi, le monde stérile de roche et de cendres se couvrit peu à peu d’eau, et l’eau, en se répandant, apporta la promesse de la vie.
Puis, nourries par l’émanation de magie que la lutte des Trois Majestueux répandait dans l’air et dans la pierre, les premières herbes jaillirent des sols, suivies des mousses, des arbres colossaux et des forêts profondes. Les plaines autrefois nues se couvrirent d’un manteau vert, les montagnes se drapèrent de forêts et de brumes, et les rivages devinrent fertiles.
Ainsi, par la guerre des Trois Majestueux, le monde se forma. Non pas par dessein, ni par harmonie, mais par lutte, par douleur et par puissance brute. Et ce fut ce tumulte qui donna au monde son visage de roches, d’océans et de cieux.