Pendant des millénaires, le tumulte ne cessa point. Les Trois Majestueux, épuisés par leur lutte infinie mais incapables de renoncer, continuaient de se heurter, encore et encore, comme si le monde lui-même les avait condamnés à s’affronter. Mais leur guerre n’avait produit qu’un monde magnifique, vaste et riche, sans véritable maître.
Alors, dans un moment de silence au milieu du fracas, Droséra le Dragon Céleste eut une pensée nouvelle. Rusé parmi les siens, il comprit ce qu’aucun des autres n’avait encore envisagé : si lui seul ne pouvait régner, alors il façonnerait des serviteurs qui combattraient en son nom, qui étendraient son influence comme autant d’ombres sur le monde.
Il descendit donc parmi les créatures difformes et rampantes, celles qui hantaient encore les cavernes et les marais sans but. En les touchant de son souffle ardent, il les brisa puis les recomposa, leur donnant de nouvelles formes, semblables à la sienne. Ainsi naquirent les dragons, vastes et terrifiants, portant dans leurs veines l’éclat de sa flamme et dans leurs cœurs son insatiable désir de domination. Autour d’eux, il fit aussi surgir les reptiles, innombrables, rampants et froids, qui infestèrent les marécages, les jungles et les plaines humides.
Mais Droséra n’était pas seulement rusé : il était aussi cruel. Dans les entrailles du monde, au plus profond des gouffres où nul rayon ne s’aventurait, il façonna une autre descendance : les démons. Ils portaient des langues fourchues, des crocs acérés et des cœurs tordus par la haine. Dans leurs esprits, il grava la malice, la perfidie et le goût de la subversion. Là où ils marcheraient, la discorde suivrait.
En voyant cela, Serafina le Lion Flamboyant rugit de colère, mais aussi d’orgueil. Il ne pouvait laisser son rival modeler seul les habitants du monde. Alors lui aussi descendit parmi les créatures informes. De son souffle embrasé, il leur donna une vigueur nouvelle, les gonfla de force et de hardiesse. Ainsi naquirent les orques et les ogres, peuples féroces, massifs et ardents. Dans les plaines du Sud, ils bâtirent des tribus belliqueuses ; dans les montagnes glacées du Nord, ils devinrent des géants, colosses dont chaque pas faisait trembler la terre.
Serafina, magnanime malgré sa fougue, ne se contenta pas de créer des peuples. Il forgea aussi les animaux, du plus petit insecte au plus vaste cétacé, afin que ses enfants ne manquent jamais de nourriture ni de compagnons de chasse. Ainsi, il donna au monde une abondance nouvelle, une multitude grouillante, sauvage et libre, qui emplirait les forêts, les océans et les plaines.
Enfin vint Apeliotes, le Griffon de Métal. Lui, le savant, observa longuement les œuvres de ses deux frères. Là où l’un avait semé la ruse et la corruption, l’autre avait insufflé la force brute et l’instinct de conquête. Mais lui choisit une autre voie. Il prit les créatures informes et les façonna plus frêles en apparence, mais plus profondes en esprit. Ainsi naquirent les humains, les elfes et les nains.
Les humains, il leur donna la curiosité, la capacité d’apprendre, d’imiter et de créer. Les elfes, il les fit gracieux et sensibles, proches des forêts et des mystères cachés. Les nains, robustes et endurants, héritèrent de la roche et du métal, se liant à la terre comme à une mère. Tous, bien que moins puissants que les dragons ou les géants, reçurent un don unique : la capacité de croire, d’espérer et de bâtir au-delà d’eux-mêmes.
Mais Apeliotes n’en resta pas là. Inspiré par la profusion d’animaux de Serafina, il mêla sa magie à la nature et donna naissance aux créatures magiques : licornes, phénix, esprits des forêts, êtres féeriques et innombrables autres formes merveilleuses. Ceux-là seraient les gardiens secrets du monde, intermédiaires entre le souffle des Majestueux et les vivants ordinaires.
Ainsi, chacun des Trois Majestueux marqua le monde de sa propre essence. Droséra engendra la ruse, la cruauté et la soif de domination, Serafina apporta la force, la conquête et l’abondance sauvage et Apeliotes offrit la sagesse, la sensibilité et la magie.
Et bientôt, le monde résonna non plus seulement des rugissements des Majestueux, mais aussi des chants des premiers peuples, des cris des bêtes, et du murmure des créatures féeriques.
Ainsi commença l’Ère des Royaumes Divins